Le Fantastique pour sauver le monde !

Le réel est menacé. Qui pourra le sauver ?

Tempêtes sur le réel

Franchement, vous le trouvez sexy le réel ? Voilà bien longtemps qu’il n’est plus merveilleux. D’aucuns le considèrent comme flou. Peut-être même n’a-t-il jamais été aussi dangereux.

Plus merveilleux le réel ? La chose n’est pas nouvelle. La science l’exploite. Elle le dissèque, le rationalise. Elle en explore ses limites si bien qu’aujourd’hui, on le considère moins par ses mystères que par ses contraintes naturelles, biologiques et cognitives. Plus les limites scientifique du réel sont repoussées, plus il devient fade. Personne aujourd’hui n’explique tel ou tel phénomène par les fées ! Si nos craintes et nos émerveillements subsistent au réel… ils se retranchent dans l’amour, dans la foi, mais ils s’expriment le plus souvent aux frontières de notre compréhension. L’équation jette un voile pudique sur la magie du quotidien, le surnaturel de quartier.

« Le surnaturel baisse comme un lac qu’un canal épuise ; la science à tout moment recule les limites du merveilleux. »

Guy de Maupassant

Flou le réel ? Transhumanistes, cloneurs et docteurs Nimbus en tout genre le voient comme un espace à défricher, à dépasser, à confondre avec des limites que certains n’osent imaginer. Ils minent à coups de mondes virtuels, d’IA, de biotechnologies, etc. Ils sont à leurs outils, leurs pioches technologiques. Ils brouillent les pistes, élargissant le spectre d’une alter-réalité où la fiction se brouille avec le réel. Elon Musk, Peter Thiel, Larry Page, etc. Je ne sais pas si ces explorateurs ont une vision du monde. En fait, je me dis qu’ils confondent outils et perspectives. Ils performent le réel pour le performer. Ils sont riches. Ils sont puissants. Ils sont forts. Dans un monde où il n’y a (presque) plus rien à explorer, ils dessinent les limites de nos nouvelles frontières.

Dangereux le réel ? Je ne vais pas épiloguer sur les épidémies, le dérèglement climatique, la notion même de vérité et ce sentiment global que quelque part, ou peut-être partout autour de nous, les choses ne tournent pas rond. Je ne pense pas que ce sentiment soit singulier à notre époque, exceptionnel et complètement nouveau. Cela doit marcher par vague. Et je ne sais pas si, aujourd’hui, tout le monde le partage. Je suis pourtant imprégné de cette désillusion, comme toute ma génération de désillusionnés, sans même avoir connu de grandes guerres, de famines et d’invasions barbares. Plus personne ne parle de Progrès ! Le réel ne semble plus fécond, comme si l’idée d’un monde meilleur n’existait plus. Un monde réel, tangible… où l’on peut encore espérer que les générations futures vivront mieux que celles d’aujourd’hui.

De la fiction partout, à toutes les sauces

Malaise dans le réel : le surnaturel scientifique, technique, climatique, etc. semble tellement proche de notre quotidien que la fiction prend une place de plus en plus importante dans notre vision du monde.

Est-ce parce qu’elles projettent nos craintes que les séries comme Black Mirror, Years & Years, Real Humans etc. connaissent le succès ? On ne sait même plus si ces séries parlent du réel ou du surnaturel. Le possible s’effleure du doigt. La projection proche, technologique, celle qui inquiète, celle que l’on hume à narines retroussées, est le nouveau terreau de la Science-Fiction.

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L’inanité d’un réel sans magie explique-t-elle la prolifération, les reprises et les succès du genre Fantaisy (Game of Thrones, Lors of the Rings, Star Wars etc.) ? On peut louer la qualité de ces créations. Ces films sont géniaux. Mais il s’agit d’une créativité hors sol. Les mondes alternatifs ne sont pas nouveaux certes, mais leur usage, qui se démultiplie dans le gaming, dans le virtuel, en littérature, prospère au dépens d’un réel asséché de sens et d’imagination.

Que fait Michel Houellebecq, star de son époque, si ce n’est décrire la fadeur d’un réel dénué de sens ? Les complotistes creusent pour trouver des sens cachés ; les contempteurs de l’effacement redessinent les discours communs. D’autres enfin, vantent le louanges d’un retour concret, charnel au réel : médiation ; ode à la respiration ; initiatives « à impact » dans l’économie sociale et solidaire, etc. L’émergence de ces mouvements, de ces terminologies, ne sont pas des lubies sorties de nulle part. Elles ont un point d’ancrage : notre malaise face au réel.

Le Fantastique pour réenchanter le réel ?

Je ne sais pas si le Fantastique pourra sauver le monde. Mais je me plais à le croire.

Nous pouvions craindre pour l’existence du Fantastique. Mais le genre subsiste, au-delà des films de super héros, du gore et de l’épouvante. On voit le Fantastique s’hybrider avec la Fantaisie ; avec la Science-Fiction. Peut-être qu’une valorisation plus épurée du genre, où toutes les histoires se passent dans un monde tangible, sans projections, nous permettrait de réenchanter les frontières du réel. Je me dis qu’il serait doux de valoriser un Fantastique « à impact positif ». Un Fantastique du présent, qui permette de prendre un recul sur le réel, de le mettre en perspective, non pas pour pour le rendre « magique », non pas pour qu’il nous fasse peur, mais pour nous aider à repenser ou à clarifier ce qui est surnaturel et ce qui ne l’est pas.

Je pense à deux pistes, en lien avec l’absurde :

Un Fantastique des sens cachés ! Celui qui parle des récits alternatifs, des histoires supposées, des théories complotistes. Que se passerait-il si d’un coup, la terre devenait plate ? Ou si nous découvrions que, réellement, le monde est gouverné par des reptiliens ? L’absurde, présenté dans un cadre tangible, ne contribuerait-il pas à désincarner ces théories ? Hervé le Tellier, dans L’anomalie, a popularisé le récit où nous serions tous les acteurs d’une vaste simulation numérique (vous pouvez lire la théorie de Nick Bostrom à ce sujet). Il y a un peu de Matrix là-dedans. Mais ce n’est pas de la Science-Fiction. La mise en abîme de cette théorie, avec des personnages et des process hyper réalistes offre une perspective toute nouvelle sur la réalité, beaucoup plus forte que si on la projetait dans un monde virtuel. Que l’objectif soit de décrédibiliser, de rire ou d’insinuer le doute, le Fantastique qui mise sur les récits alternatifs, sur la croyance ou sur la théorie, a le mérite de recadrer nos perspectives sur le réel.

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Un Fantastique du quotidien… celui qui parle des limites absurdes et indépassables de notre vie. Ces limites que nous rencontrons tous et qui nous offrent des possibilités d’incarnation : que feriez-vous si vous pouviez passer à travers les murs (comme dans Le passe-muraille de Marcel Aymé) ? Comment réagiriez-vous si vous restiez coincés dans Un jour sans fin (le film d’Harold Ramis, avec Bill Murray) ? Vous exploiteriez vraiment les Beatles s’ils n’avaient jamais existé (Yesterday de Danny Boyle) ? J’aime ce genre de Fantastique parce que les personnages de ces histoires sont confrontés à des problèmes qui nous interrogent, qui nous pousse à la réflexion, le plus souvent pas l’humour. Elles nous montrent surtout les limites claires d’un réel en prise avec notre quotidien.

Sans doute existe-il d’autres voies pour (ré)exploiter le Fantastique. Mais l’article est long et je vais m’arrêter là, comme une pierre qu’on jette à l’eau, avec cette conviction qu’en cette période de trouble sur le réel, le Fantastique peut venir à la rescousse.


Les Fantaisies du Mal est sorti le 3 janvier 2022. Le livre est disponible en format papier sur Amazon (14,9 €). Je le fournis pour 1€ en format ePub ou PDF.